Comment les sciences sont-elles communiquées au Mexique?
Avec plus de 3 millions d’étudiants, près de 3 000 institutions d’enseignement supérieur et un nombre croissant de chercheurs et chercheuses, le Mexique, pays observateur de la francophonie, est un des pays chefs de file d’Amérique latine en recherche scientifique. Mais peut-on en dire autant de la communication des sciences ? Pour le savoir, nous, Science vagabonde, sommes allés à la rencontre de celles et ceux qui la pratiquent au Mexique. Ils nous livrent ici leur témoignage sur cette activité en plein changement.
Pour Maria Emilia Beyer, membre de la Direction générale de la Vulgarisation des sciences de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), la communauté de vulgarisateurs au Mexique vit actuellement une étape de transition :
« Il y a encore dix ans, on pouvait considérer que la communauté des vulgarisateurs scientifiques au Mexique était en pleine formation. Le noyau dur se situait à l’UNAM, et il était assez fermé. La ville de Mexico était à peu près le seul endroit où se pratiquait la vulgarisation. Heureusement, nous sommes aujourd’hui dans une phase de construction et de mise en place de nouveaux réseaux. Beaucoup de jeunes sont arrivés avec leurs propres projets et ont réussi à créer leurs propres connexions à Mexico et dans le reste du pays. »
Au Mexique comme ailleurs, le monde de la communication a effectivement connu une révolution ces dix dernières années. Internet et les réseaux sociaux ont permis la démocratisation de la communication, notamment scientifique. La jeune génération n’a pas attendu l’autorisation de ses aînés pour créer des blogs, des groupes Facebook ou des chaînes YouTube pour transmettre leur passion pour les sciences. Grâce à des groupes WhatsApp, les jeunes vulgarisateurs mexicains n’hésitent pas à travailler en collaboration et à reprendre certaines techniques de leurs collègues youtubeurs humoristes pour accrocher leur public.
Mais bien que la communication des sciences atteigne un public plus nombreux dans une zone géographique de plus en plus étendue, une étude vient nuancer ce constat à priori positif. Jorge Padilla, ancien président de la Société mexicaine de Vulgarisation des sciences et techniques (SOMEDICYT) et coauteur du Diagnostic de la Vulgarisation de la science en Amérique latine, met l’accent sur une des conclusions de cette étude :
« Le premier constat est qu’on ne sait pas très bien, au Mexique comme dans beaucoup de pays latino-américains, si le travail de vulgarisateur est encore une activité bénévole ou s’il s’agit réellement d’une activité professionnelle. Seulement 11 % des personnes qui font de la vulgarisation sont des vulgarisateurs professionnels. Les autres sont des chercheurs, des universitaires, des étudiants… et la majorité d’entre eux le font sans aucune forme de rémunération. »
Bien sûr, il pourrait sembler normal que les chercheurs pratiquent la médiation scientifique sans rémunération, celle-ci faisant partie de leur mission professionnelle. Cependant, l’absence de communicateurs professionnels pour accompagner les chercheurs dans cette démarche est un vrai problème. L’absence même de politique de vulgarisation peut constituer un frein à la bonne volonté des vulgarisateurs. Si la communication des sciences relève davantage d’une démarche personnelle que d’une politique globale, le système devrait tout de même permettre à ces démarches personnelles d’aboutir, notamment grâce à des subventions, des structures…
Pour relever les défis de la communication scientifique au Mexique, Jorge Padilla dresse une liste de quatre principales recommandations :
- « En premier lieu, nous avons besoin de professionnaliser la vulgarisation scientifique. Pour cela, nous devons proposer une formation solide en communication scientifique tout en créant des mécanismes qui permettent aux vulgarisateurs d’être rémunérés pour ce qu’ils font.
- Une autre recommandation est de diversifier les publics. Ne pas penser uniquement aux enfants et aux adolescents, mais à la société dans son ensemble, à ses différents secteurs et catégories.
- Ensuite, nous devons essayer d’inclure plus de monde dans le travail de vulgarisation. Je pense qu’il faut impliquer plus de chercheurs, de communicateurs, de journalistes scientifiques, d’étudiants…
- Enfin, beaucoup de mes collègues m’en voudront pour ce que je vais dire, mais nous devons voir la vulgarisation comme un produit. Ce n’est pas parce que j’utilise le mot « produit » que nous devons marchandiser ce que nous faisons, mais il faut savoir qu’il existe des outils de marketing qui peuvent nous permettre de persuader* les gens de s’intéresser aux sciences. Ces techniques peuvent par exemple nous aider à cerner précisément notre public pour mieux adapter ce que nous lui proposons. »
Pour aller plus loin, découvrez l’interview de Patricia Hernández et Norberto Espíritu, astrophysiciens et vidéastes de la chaîne YouTube Astrofísicos en Acción.
*Note de RaccourSci : il nous conviendrait plutôt de parler de « faire prendre conscience de la nécessité de s’intéresser aux sciences »