Berceau de métastases

Priya Gatti Université du Québec à Trois-Rivières

Cette cellule cancéreuse détachée de sa tumeur vient de s’établir dans un nouvel endroit. Elle est maintenant prête à former une métastase. Le cancer va progresser. Pour que cela se produise, la cellule doit développer des protrusions, sortes de tentacules disposés sur la surface extérieure, nécessaires à son déplacement. Mais gardons notre calme, on est au laboratoire et ce type d’expériences visent à mieux comprendre le rôle des mitochondries (en vert) dans cette histoire! Ces petites usines énergétiques au sein de chaque cellule se restructurent au moment où les cellules cancéreuses migrent et forment des métastases. (Grossissement : 1000x | Microscopie confocale | Coloration par immunofluorescence) - photo issue du concours La preuve par l'image de l'Acfas 2021.

OUI, on peut informer sans déformer!

Peur de déformer la science, de la dénaturer, d’être simpliste, réducteur-trice, voire sensationnaliste : malgré un engouement croissant pour la vulgarisation, des craintes persistent parmi les scientifiques. Qu’en est-il vraiment?

Il est vrai que parler de ses travaux à des non-spécialistes peut conduire à des raccourcis malheureux, voire à la propagation d’idées fausses.  Toutefois, je crois sincèrement qu’il est possible de bien vulgariser la science sans la déformer, la dénaturer, être simpliste, réducteur-trice ou sensationnaliste. Tout dépend du soin que l’on y met et surtout de ce que l’on cherche.

Une question d’objectif

L’objectif de la vulgarisation n’est pas celui d’une communication savante. Il ne s’agit pas de défendre la validité de ses recherches face à des pairs, mais seulement d’en partager les idées essentielles avec un public de non spécialistes. La stricte exactitude des termes employés, la précision des informations n’ont donc pas la même importance. Ce que le public va apprécier, c’est la capacité des scientifiques de se faire comprendre, leurs qualités de communicateur, raison pour laquelle certains charlatans beaux parleurs ont parfois plus d’écoute que les vrais experts. Remplacer un terme technique, ou un concept savant par ce qu’ils veulent dire en langage commun n’en change pas le sens. La connaissance scientifique ne tient pas dans des mots, mais dans ce qu’ils décrivent. Et vulgariser ne veut pas dire enseigner.

Je me dis souvent qu’une personne qui vulgarise bien n’est pas celle qui cherche à montrer qu’elle est intelligente parce qu’elle manipule des notions complexes, mais celle qui donne l’impression à son public qu’il l’est, en lui permettant de comprendre l’essentiel d’une recherche complexe.

Être juste, mais incomplet

Inévitablement, vulgariser, demande de faire des choix, des compromis, ce qui peut et doit se faire sans sacrifier à la justesse.  L’idée n’est pas de tout dire, mais seulement de sélectionner les idées essentielles du style « voici en gros ce qui ressort de nos recherches, voici le message à retenir ». Bref, il ne s’agit pas de décrire tout le travail effectué, de résumer vingt ans, trente ans de travaux, mais d’en esquisser un portrait instantané pertinent et susceptible d’intéresser le public visé. Faire cela ne dénature en rien le travail de recherche effectué. Il n’interdit pas, non plus, d’en préciser les limites, qu’il s’agisse des incertitudes soulevées ou du caractère temporaire des résultats trouvés. Tout le monde peut comprendre l’importance du doute dans la démarche scientifique ou le fait que, la connaissance ne cessant d’avancer, ce qui est accepté aujourd’hui pourrait être remis en cause demain.

Préférer les petits pas aux grandes enjambées 

De plus, il est possible d’expliquer des choses compliquées et même d’apporter toutes les nuances voulues pour autant que l’on procède par petits pas. Si un modèle fait intervenir une dizaine de variables, présentez-en une, puis deux ou trois à la limite, afin de permettre à votre public d’en saisir le principe. À vous, ensuite, de nommer rapidement les autres variables en précisant que chacune ajoute à la complexité du tout. De la même façon, on peut ajouter une série de nuances ou de mises en garde à une première explication volontairement simplifiée. Procéder par petits pas pour rester compréhensible ne présente en rien une image réductrice de la science.

Analogies?

J’ai également entendu, à l’occasion, des réserves quant à l’usage des analogies en vulgarisation. Ce procédé, qui consiste à expliquer une notion technique en la comparant à quelque chose de connu, représente pourtant un moyen efficace.  Il propose une image qui facilite grandement la compréhension. Reste à prendre le temps de trouver la bonne analogie, soit celle qui tient la route tout au long de l’argument et qui permet, surtout, de rendre compte de toutes les subtilités voulues. Bien vulgariser demande souvent d’investir des heures de travail.

Intéresser, mais pas à n’importe quel prix!

C’est un fait que s’adresser à un public non captif, demande aussi de trouver le moyen de capter son attention, d’éveiller sa curiosité afin de le motiver à lire ou écouter tel contenu. Cela ne signifie toutefois pas qu’il faille tomber dans le sensationnalisme, au contraire. La seule façon d’intéresser les gens n’est pas de leur faire croire que telle recherche va changer le monde, éradiquer telle maladie ou régler définitivement tel problème. Les petites avancées sont toutes autant fascinantes, surtout quand on sait faire ressortir l’aventure humaine qui est derrière.

Car ce ne sont pas seulement des connaissances, mais aussi une aventure que la vulgarisation cherche à partager.  Une belle mission.