Les étoiles se voilent pour mourir

Marianne Ruest Université Laval

L’étoile qui brille au bas de l’image est toute jeune. Dénommée WR136, elle aurait quelque 5 millions d’années, alors que notre Soleil en compte déjà 5 milliards. Or, cette étoile approche de son dernier souffle. D’une masse initiale estimée à 50 soleils, elle a déjà consommé tout son hydrogène, d’où un premier effondrement. En contrecoup, elle a éjecté environ la moitié de sa masse sous la forme d’une bulle de gaz qui fait 30,000 fois la taille de notre système solaire. En bleu, les particules qui se déplacent vers nous, et en rouge, celles qui s’éloignent. WR 136, qui brûle maintenant son hélium, est condamnée à connaître l’apothéose funeste d’une supernova ou à finir en trou noir. (Image de la nébuleuse du Croissant, soit NGC 6888, prise par le spectromètre imageur SITELLE, développé au Québec et installé sur le Télescope Canada-France-Hawaï. | Colorisation par rougissement Doppler de la raie Hα) - Image issue du concours 2023 La preuve par l'image de l'Acfas.

Être vulnérable?

J’ai hésité, l’année dernière, à m’inscrire au concours Ma thèse en 180 secondes, parce que je ne croyais pas que ce genre d’événement s’adressait à moi. Je ne pensais pas que ma recherche, mon type d’approche, convenait au format de l’épreuve ou aux attentes de l’organisation et du public. Je n’aurais pas, sur scène, cette confiance qui brandit une réponse sûre au problème exposé – je n’avais pas de trouvaille dans ma poche, l’outil de pointe ou la nouvelle analyse appelée à combler un défaut, un manquement grave à notre manière de faire les choses. Mes questions ne se diluaient pas dans des solutions inventives, raffinées, il n’y avait pas de façons de les laisser derrière pour faire encore mieux.

Mais je l’ai fait, au final, je me suis inscrit, et j’ai décidé de parler de moi.

J’ai parlé de ce qui m’était cher et de ce qui m’apparaissait important. J’ai parlé de ma passion pour la lecture, de la protection d’une réserve naturelle située près de l’endroit où j’ai grandi et de ma mère, surtout. Je ne l’avais pas pensé comme ça, sur le coup, mais il s’agissait d’une manière de me rendre vulnérable, de mettre de l’avant une fragilité. Je crois maintenant que la vulnérabilité est un véhicule essentiel au partage de mes recherches.

Se montrer vulnérable peut être effrayant. Ça revient à offrir une faille, à exposer les biais et les erreurs qu’on a tendance à masquer. Quand je faisais de l’improvisation au cégep, un entraineur avait inventé un exercice à réaliser devant le reste de l’équipe, en pratique : il fallait rester debout sur scène pendant deux minutes. Juste debout, à ne rien faire. On s’exposait alors aux regards des autres, on n’avait pas le choix d’accepter leurs jugements, sans la protection d’une performance. L’exercice est difficile à réaliser, on se prend toujours à s’ajuster, à bouger malgré soi, c’est inconfortable – on corrige son expression ou sa posture.

Cette vulnérabilité est une brèche qu’on taille dans sa recherche, une brèche qui permet aux autres de s’engouffrer. Elle peut donner lieu à la critique, bien sûr, elle ouvre à la contestation et à l’échec. Mais la vulnérabilité rend possible le contact et le partage. Elle valorise la sensibilité et l’expérience personnelle, permet à ceux et celle qui me lisent ou qui m’écoutent de s’identifier à mon récit, de mieux comprendre mes choix et les raisons qui animent mon écriture.

La vulnérabilité n’est pas quelque chose qui est là au départ, et contre quoi on se prémunit si on répète assez de fois notre communication, si on est sûr·e de maitriser notre sujet. Je ne veux pas dire qu’il faut négliger la préparation de sa communication ou l’apprentissage de son texte, mais je crois que la vulnérabilité qu’on revendique, elle aussi, peut être quelque chose de construit, de réfléchi et de travaillé, tout autant que nos certitudes. Elle aussi peut être désirée, choisie comme une part indispensable à nos recherches et à notre partage.

Exposer ma vulnérabilité a consisté, dans mon cas, à laisser place aux émotions que ma recherche m’inspirait, à engager ma sensibilité comme un outil de travail et à valoriser mon histoire familiale.

Je révèle les aspects personnels et subjectifs de ma thèse – comment d’autres personnes ne l’auraient certainement pas conçue de la même façon. Je ne cherchais pas à exposer l’importance de ma recherche pour le monde, la société ou l’innovation en science. Ma recherche m’est chère et précieuse. Je souhaitais exprimer les raisons pour lesquelles mes travaux sont importants pour moi. Cette vulnérabilité radicale est une méthode de partage des savoirs.

Pour écrire ce texte aussi, j’ai fait le choix d’exposer ma vulnérabilité. J’ai misé sur une dernière version, que vous lisez présentement, très différente de la première. J’étais dans une forme de conformisme, à me dire qu’il fallait sûrement que je partage des conseils attendus – déjà donnés, et qui ne me reflètent pas tant que ça. La vulgarisation permet aussi de se mettre en jeu, en tant que chercheur-se. J’ai voulu me questionner, et livrer quelque chose qui me ressemble davantage.