Les rythmes du cerveau

Les rythmes du cerveau

Sébastien Déry Université McGill

Une nouvelle technique d’imagerie non invasive du cerveau épie les activités électriques des neurones grâce aux minuscules champs magnétiques qui en résultent. Or, ces champs magnétiques sont infimes. On ne détecte que ceux générés par l’activité synchronisée de milliers de neurones, dont on caractérise ensuite les types d’ondes qui leur sont associés. On met ainsi en évidence des circuits de communication spécifiques entre les différentes aires du cerveau. Déjà, on soupçonne que des pathologies neurologiques (épilepsie, maladie d’Alzheimer, syndromes autistiques, etc.) peuvent conduire à des désynchronisations de l’activité neuronale. On pourrait bientôt « voir » les désordres de la pensée en temps réel…Ces trois images sont tirées de représentations 3D générées par ordinateur à partir d’enregistrements magnéto-encéphalographiques (MEG). Les circuits neuronaux ont ensuite été superposés à une reconstruction 3D du cerveau obtenue par IRM. - Photo issue du Concours La preuve par l'image 2014 -

Sciences sociales : comment vulgariser en territoire préoccupé

« La culture n’est pas l’analogue de la matière inerte », Fernand Dumont, sociologue

Sur la non-conductivité des supraconducteurs ou le rôle des astrocytes dans la dynamique neuronale, la plupart d’entre nous sommes vierges, et de connaissances et d’opinions. Parlez d’éducation, d’économie, de politique ou de rapports de classe, là vous rencontrerez des cerveaux saturés de représentations. Ces sujets sont chauds, et par moment brûlants.

Les sciences sociales produisent un discours informé par la recherche. Sortie du milieu scientifique, cette « parole » partage la scène avec tous les autres discours sur le social, celui des citoyens, des journalistes, des politiciens, des think tank, des médias de tous acabits, dont les volatils médias « sociaux ».

On questionnera la solidité de vos travaux et de vos conclusions. Et on aura raison, car souvent nous avons sur ces questions soit un savoir d’expérience, soit de très bonnes connaissances, soit encore de solides préjugés. Et de plus et surtout nous avons intérêt en la matière, car c’est de notre propre vie individuelle et collective dont il est question.

Sortir du champ scientifique, c’est donc mettre le pied dans l’arène, c’est périlleux, mais, comme le disait le combatif sociologue Pierre Bourdieu, « la sociologie ne vaudrait pas une heure de peine si elle devait être réservée aux experts ». De plus, une science chaude, c’est l’occasion de riches dialogues, plus que dans tout autre champ de connaissances. Pour y arriver, cela demandera de la bienveillance, une humble assurance, un peu de pratique et quelques conseils.

Voici trois stratégies pour vous aider à établir, voire à maintenir, un échange constructif.

Partagez le sens de vos concepts

Assurez-vous d’être compris dès le premier usage de vos concepts clés. Ne laissez pas traîner un « palimpseste » jusqu’au dernier paragraphe ou pendant dix minutes sans l’expliquer.

Deux grandes catégories de termes demandent un éclaircissement. D’abord les concepts propres à votre domaine et non usuels au quotidien : déterminants sociaux, externalisation du travail domestique, etc. Conservez-en un minimum, les plus utiles à votre message. Mais gardez aussi en tête que la plupart d’entre nous trouvons stimulant de fréquenter de nouveaux mots. Lancez par exemple « il est connu que le sentiment obsidional est un facteur belligène », vous intriguerez votre public ! Expliquez-lui ensuite simplement, grâce à vos compétences en vulgarisation, que « se sentir assiégé rend agressif ». Il fera même des liens avec sa propre expérience.

La deuxième catégorie sont les mots très usuels comme violence, culture, patriarcat, racisme, etc. Là, il faut vite définir votre usage, car, dès leur mention, une assemblée de neurones publiera immédiatement une définition dans les cerveaux de vos auditeurs.

Distinguez ce que vous savez de ce que vous pensez

Sollicitons à nouveau Pierre Bourdieu : « La principale source de malentendu réside dans le fait que, d’ordinaire, on ne parle presque jamais du monde social pour dire ce qu’il est et presque toujours pour dire ce qu’il devrait être. »

Distinguer votre science des opinions, celles de vos interlocuteurs comme les vôtres. Si vous donnez une conférence, il sera aisé de rester sur le terrain de votre science, mais, lors d’une conversation impromptue, vous devrez être très vigilant. Un discours qui rend compte des inégalités sociales ou du pouvoir du capitalisme financier aura facilement l’allure d’un propos militant.

Ayez vos arguments méthodologiques prêts à servir. Exposez comment vous savez ce que vous savez, en l’illustrant par des exemples. Exposez aussi les limites de ce que vous savez. Il y a une variété de méthodes pour un même problème social, souvent complexe et multifactoriel. Qualifiez la vôtre et parlez des défis de compréhension propres à votre objet.

 Préparez-vous aux vents contraires

Le chercheur en sciences sociales observe, mesure et décrit, comme tout bon scientifique. Et comme un biologiste, il observe des réseaux de relations allant de la compétition à la coopération. Mais pour lui s’ajoutent des dimensions psychologiques, politiques et éthiques particulières, car il est de la même espèce que son objet d’étude.

Les risques de déranger sont importants. Les groupes dont vous mettrez à jour les intérêts n’aimeront pas voir leur jeu dévoilé, même et peut-être surtout par la méthode scientifique. Soyez prêt aux bourrasques. Les deux pieds bien au sol, restez calme et ne vous énervez pas. Le meilleur entraînement, c’est d’étudier les pièges du langage, les sophismes comme les biais cognitifs.

Il sera important de bien positionner votre état d’esprit. N’essayez pas d’avoir raison, mais visez à faire avancer la compréhension du phénomène en question. Soyez honnête, car votre objet est hypercomplexe, et vous ne pouvez en maîtriser tous les détours. Et assumer la conflictualité, c’est le prix à payer pour une saine démocratie.