Splendeurs et misères d’une supergéante

Laurent Drissen, Marcel Sévigny et Nicole St-Louis Université Laval et Université de Montréal

Au cœur de cette gigantesque bulle de gaz se cache une étoile de type Wolf-Rayet. À la veille d’exploser en supernovæ, elle éjecte, sous forme de vents stellaires, de phénoménales quantités de matière qui se déploient dans le nuage moléculaire environnant. Cette image Doppler montre l’expansion inexorable de cette nébuleuse, dénommée NGC 2359. Ici, seules les longueurs d’onde de la raie d’hydrogène ionisé ont été sélectionnées et les couleurs correspondent aux vitesses des gaz : du bleu, se rapprochant de nous, au rouge en direction opposée. (Image extraite d’un cube hyperspectral obtenu avec le spectromètre imageur SITELLE développé au Québec et installé au télescope Canada-France-Hawaï. Seules les longueurs d’onde associées à la raie H-alpha (656 nm) ont été sélectionnées) - Photo issue du concours La preuve par l'image 2019

Comment traiter des questions socialement vives en communication scientifique?

Nucléaire, OGM, nanotechnologies, biologie synthétique, neurosciences, antennes 5G… les avancées technologiques liées aux activités des laboratoires et des entreprises à caractère scientifique soulèvent bien souvent des questions dites « socialement vives », qui entraînent parfois de véritables « controverses sociotechniques ».

Ces réactions ne doivent pas nécessairement être perçues comme anti-science : l’exercice de la démocratie suggère que, compte tenu de leurs extraordinaires impacts sociétaux, ces « progrès » scientifiques et techniques fassent l’objet d’un minimum d’appréciation et de choix de la part de la société civile[1].

Or pour discuter de leur « acceptabilité sociale », il est nécessaire d’envisager aussi bien les bénéfices que l’on attend de ces technologies que les risques de leurs mises en œuvre et les valeurs qu’elles contribuent à transformer. Sans oublier de se demander si les populations qui supporteront les risques seront les mêmes que celles qui profiteront des bénéfices[2].

Donner du pouvoir de réfléchir et d’agir aux publics

Si la vulgarisation scientifique s’est longtemps donnée pour mission de transmettre le savoir savant, se faisant souvent par ce biais le chantre du progrès technologique, la multiplication des questions socialement vives liées à la science et à la technologie a obligé les acteurs de la culture scientifique, dès les années 2000, à inventer une nouvelle approche de la communication publique de la science : la médiation scientifique.

Défendant une vision forte de ce changement de vocabulaire, nous considérons qu’à la différence des formes plus anciennes de vulgarisation, les pratiques de médiation doivent, pour mériter ce vocable, reposer sur le respect des connaissances et des valeurs de leurs publics, et non plus seulement chercher à corriger leurs ignorances et leur supposée irrationalité. Il ne s’agit plus là de les « convaincre de quelque chose » mais de leur donner du pouvoir de réfléchir et d’agir, en leur permettant de se forger leurs propres opinions grâce à des environnements culturellement riches et sereins. Ces derniers leur permettront certes d’acquérir des connaissances, mais également de clarifier leurs valeurs et de découvrir d’autres formes de pensée que les leurs.

La médiation scientifique repose en cela sur un modèle de relations science-technologie-société qui vise l’engagement des publics et non plus leur adhésion au progrès technologique ou à la « pensée scientifique ».

Comment, dans ce cadre, traiter de questions socialement vives dans les actions de communication publique de la science ? En mettant ses pratiques en cohérence avec cet état d’esprit propre à l’idée de « médiation scientifique » que nous avons brièvement tenté de décrire ci-dessus. Des pratiques qui, en conséquence, s’appuieront sur des outils non plus seulement interactifs, mais participatifs, voire collaboratifs.

Par exemple, parce que les OGM ne sont pas seulement une technologie mais un changement de paradigme dans la production de notre nourriture, qui soulève des questions politiques impossibles à traiter par le seul biais de la connaissance scientifique, il n’est pas envisageable de fonder une action de médiation sur un format « conférence d’un·e spécialiste » suivie de « questions du public ». Car en matière d’OGM, le public a des choses à dire et pas seulement des questions à poser ! Tout comme les spécialistes ignorent souvent tout des visions du monde de leurs auditeurs.

Faire évoluer ses pratiques

Dans les années 2000 toujours, les premières tentatives d’évolution des pratiques de communication sur ces sujets sensibles ont permis l’émergence de formes plus ou moins élaborées de débats, destinés à proposer des formats plus adaptés car plus participatifs : tables-rondes, ateliers, bars des sciences… Dans le débat, pourtant, les protagonistes cherchent bien plus souvent à se convaincre qu’à se comprendre mutuellement, à argumenter qu’à analyser les limites de leurs visions du monde. Et à trop rechercher le consensus, on en vient parfois à produire de la polarisation entre des positions qui se retrouvent encore plus radicalisées à l’issue du débat.

Pour éviter ce biais, les musées de science anglo-saxons ont développé, il y a une dizaine d’années, une approche nommée « jeux de discussion »[3]. Dans les musées de science, on a vu plus tard apparaître des formats de « muséologie participative »[4] où des groupes de citoyen·ne·s participent à des groupes de discussion (focus groups) accompagnant la construction des expositions[5].

Bien d’autres exemples existent et restent à inventer. Car au-delà du débat, souvent polarisant, l’état d’esprit porté par la médiation scientifique offre des perspectives de traitement serein et constructif des questions socialement vives, quels que soient les formats. Cela suppose d’abandonner la recherche du consensus et de l’acceptabilité sociale au profit de la « construction du désaccord », dans une perspective d’empowerment (ou autonomisation d’après l’OQLF) à la fois individuel et démocratique. C’est là que réside, selon nous, sa profonde utilité et sa véritable identité.

 

Pour aller plus loin :

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] En 2003, la Revue Durable (www.larevuedurable.com) écrivait notamment : « Les sciences et les techniques ont beau occuper une place centrale dans nos sociétés modernes, elles n’en flottent pas moins à la périphérie de leurs dispositifs démocratiques ».

[2] La question de la vaccination est à cet égard très emblématique de questions socialement vives délicates à traiter.

[3] Voir https://labmap.wordpress.com/2016/03/23/apprendre-a-apprendre-lecon-2-a-quoi-bon-discuter/. Elle fut développée ensuite en Europe par notre association Traces (www.groupe-traces.fr) et reprise par d’autres, telles que l’Arbre des Connaissances (http://arbre-des-connaissances-apsr.org/nos-actions/jouer-a-debattre/).

[4] www.amcsti.fr/fr/bulletin/avez-dit-museologie-participative

[5] Nous l’avons par exemple mis en œuvre au travers du projet QSEC2 (www.espgg.org/QSEC%C2%B2) à l’Espace des sciences Pierre-Gilles de Gennes.