Rencontrons-nous!
Je suis parfois étonnée, quand je donne des formations, à quel point la première motivation de certain-e-s participant-e-s réside dans le besoin de rencontrer, de discuter avec des pairs. Ces échanges, beaucoup plus informels que les objectifs d’acquisition de compétences visés dans le cadre des formations, sont cependant essentiels.
C’est la mise en relation de professionnel-le-s avec des vécus, des expériences différentes, qui permet la confrontation des points de vue, l’affirmation des valeurs, la mise en place d’un vocabulaire commun, et permettra ainsi la reconnaissance d’un métier souvent précaire.
Rencontrons-nous donc ! Parlons-nous ! Oui, mais comment ? Sans vouloir ici poser un cadre trop contraignant à un métier qui se veut informel et à des rencontres conviviales, voici quelques propositions d’activités comme soutien de la relation.
Partager sa veille
Honnêtement, qui parmi vous fait une veille régulière sur les pratiques de médiation scientifique ? Pris par le temps, cette partie essentielle du métier tombe vite dans les abîmes de nos listes à cocher (ah, les fameuses to do list!). Allions l’utile à l’agréable, et fixons-nous des rendez-vous réguliers et conviviaux pour échanger nos découvertes.
Sur le modèle de Pint of science, des soirées mensuelles dans des bars ont été mises sur pied pour se rencontrer entre amateurs-trices de la diffusion de la culture scientifique et technique, comme en France les Brasseurs de science à Toulouse ou Science shakers à Paris. Elles convient des porteurs de projet, des chercheurs et chercheuses à intervenir sur des thématiques comme les jeunes publics, la culture populaire en vulgarisation…
Ces soirées requièrent une équipe d’organisation et l’identification des conférencier-e-s. Vous pouvez leur préférer des formats moins descendants où chaque participant-e est contributeur-trice.
Je pense à Links not bombs, développé dans la coopération internationale. À tour de rôle, on dispose d’une minute pour partager un lien vers un site Internet remarquable. Les présentations d’actions, de structures, d’individus, de d’expérimentations qui inspirent s’enchaînent.
Sans passer par ces joutes de liens, l’Espace des sciences Pierre-Gilles de Gennes (ESPGG) à Paris invite qui le souhaite à venir offrir, mensuellement, l’une de ses “Pépites du mardi“. Avec comme seule contrainte que chaque participant-e se doit de faire part d’un coup de cœur.
Questionner ses valeurs
Beaucoup de médiateurs et de médiatrices sont arrivé-e-s dans ce métier par hasard. Sans formation, ces gens ont commencé par reproduire ce que d’autres faisaient puis ont conçu leurs propres animations. Ce parcours d’opérateurs du métier ne laisse que peu de temps pour questionner ses valeurs, ses motivations. Profitons des moments partagés avec d’autres pros pour les discuter, et ainsi les conscientiser. L’École de la médiation, avec l’association Traces, en France, utilise des “jeux de discussion”, un excellent outil pour débattre à partir d’éléments concrets, qu’on peut facilement s’approprier.
Allez, jouons ensemble. Par groupe de quatre ou cinq médiateur-trice-s, classez ces “Fonctions de la médiation” par ordre d’importance selon vous :
– Développer l’esprit critique
– Développer la créativité
– Transmettre des connaissances scientifiques et techniques
– Informer sur l’actualité scientifique
– Appréhender la démarche scientifique
– Susciter la curiosité
– Transmettre des compétences scientifiques et techniques
– Présenter le fonctionnement de la recherche, des sciences en train de se faire
Cette hiérarchisation se fait selon vos valeurs et nécessite, pour arriver à un classement collectif (attention, ex-aequo fortement déconseillés !), de verbaliser vos ressentis, de préciser vos intentions, d’entendre les avis divergents, d’exprimer clairement vos arguments, de différencier les moyens utilisés des objectifs visés.
Observer pour apprendre
Isolé-es et débordé-es, nous prenons peu le temps d’aller s’observer en animation. C’est oublier que regarder les autres faire nous apprend énormément sur nos pratiques, que recevoir les critiques constructives de ses pairs ne peut que nous faire évoluer et nous délester de mauvaises habitudes.
Créez des duos ou trios d’observation. Après avoir discuté ensemble « quels sont les critères de réussite (et d’échec) d’une médiation », construisez une grille d’observation. Ce support est essentiel pour réagir de manière ciblée et constructive, et ne pas se limiter aux réactions sur le contenu. Chacun-e pourra ensuite insister sur les critères qui lui tiennent à cœur lors de l’observation de son animation, car il ou elle se sent fragile ou veut un retour sur des expérimentations.
Les invitations à assister aux médiations sont des rendez-vous privilégiés qui nécessitent un temps de discussion après chaque observation. Adoptez une attitude la plus constructive possible, acceptez vos différences, écoutez les suggestions, faites preuve de bienveillance.
En tant qu’observateur-trice, dressez la liste des bonnes pratiques que vous souhaitez emprunter à vos collègues. Compilez les astuces de tout le monde dans des documents-ressources.
Troquer ses compétences
Les petits trucs que nous développons au cours de notre exercice du métier, notamment par l’entremise de nos interactions avec les publics, nous n’en avons pas toujours conscience.
Les offrir aux autres est un excellent moyen qui aide à les formaliser pour soi, et ensuite les valoriser.
Sur le modèle des SEL, « systèmes d’échange local », organisez entre professionnel-le-s d’horizons différents, des séances de trocs de savoir-faire.
Je pense par exemple à la Bulloterie, « outil ludique de mise en relation par intérêts et savoir-faire » développée pendant le mouvement français de Nuit debout, ou à la Grande collab, proposée par l’École de la médiation et les vidéastes du Café des sciences en 2018.
Ce format d’enrichissement mutuel consiste à proposer aux autres membres du collectif des courts ateliers (de 15 à 90 minutes), plus ou moins préparés, pour leur faire profiter de son expérience sur un sujet (réaliser une vidéo avec un téléphone intelligent, créer un escape game pédagogique, développer le récit dans ses animations…).
Afin de promouvoir l’échange, invitez chaque participant-e-s à occuper les deux rôles d’un atelier, celui d’animateur-trice et celui de participant-e d’un atelier.
Et l’on repart ainsi avec de nouvelles idées et ses expertises mises en valeur.
Analyser ses pratiques
Le Codev, d’apparence beaucoup plus formalisé, permet de sortir de ces idées de rencontres informelles. Mais ce modèle, tout comme les Groupes d’analyses des pratiques professionnelles, développés pour accompagner les soignants dans leur gestion de situations difficiles, s’avère très inspirant. Il nous offre un cadre, du temps à plusieurs pour analyser et comprendre des cas vécus comme difficiles.
L’idéal est de constituer un groupe régulier d’environ 6 personnes, la répétition de cet exercice permettant d’être de plus en plus précis et pertinent dans ses analyses, de développer des nouvelles connaissances et d’identifier les comportements adaptés à certaines situations. Le vivre une fois est déjà un exercice très formateur.
À chaque séance, une personne est chargée de veiller à la bonne tenue de la séance (respect du temps, de la prise de parole et des règles de non-jugement).
Puis les quatre mêmes phases se succèdent. Allez, jouons ensemble :
– Description par l’exposant-e de la situation à analyser. 5 à 10 minutes.
– Temps d’échange, ou les autres membres du groupe peuvent poser des questions pour préciser certains points. 20 minutes.
– L’exposant-e écoute le reste du groupe réagir au cas sans intervenir : analyses, hypothèses d’explication, suggestions de résolution. 20 minutes.
– L’exposant-e reprend la parole pour reformuler et conclure. Cela peut être l’occasion de dessiner un plan d’action. 10 minutes.
Alors, quoi mieux que de se rencontrer, de se parler! La médiation est une activité humaine, humanisons nos pratiques et créons du contact humain!