Combattre le feu par le bois

Mathieu Létourneau-Gagnon Université Laval

Ceci n’est pas une vision de l’enfer, mais bien l’image d’une expérience d’ingénierie. Une vis est insérée dans une structure de bois exposée à une chaleur intense. L’objectif? Mieux comprendre le comportement du bois lors d’une longue exposition au feu. Parce qu’il est combustible, ce matériau cause des inquiétudes dans le secteur de la construction. Pourtant, sa faible conductivité thermique isole efficacement les vis et les clous qui maintiennent les structures. Ainsi, en plus d’être issu d’une ressource renouvelable, le bois confère aux ouvrages une grande résistance, même après deux heures d’exposition au feu! (Photographie numérique) - Photo issue du concours La preuve par l'image 2020.

L’insaisissable fil conducteur…

C’est un bien drôle d’animal que le «fil conducteur», cet enchaînement des idées qui garde le lecteur dans un texte jusqu’au bout. Quand il y en a un, on ne s’en rend pas compte, trop curieux qu’on est de voir ce qui va suivre. Et quand il n’y en a pas… eh bien on ne s’en rend pas toujours compte non plus parce qu’on arrête de lire avant. Et pourtant, il s’agit d’une des choses les plus importantes en communication (scientifique ou tout court), et l’une d’une plus difficile à maîtriser. J’en sais quelque chose, et pas seulement parce qu’en ma qualité de journaliste, j’écris des textes à longueur de semaine : voilà maintenant trois ans que j’enseigne le cours «Communication scientifique» à l’Université Laval. C’est certainement une des notions qui donne le plus de fil à retordre (pardon pour le jeu de mots) à mes étudiants. Or il faut bien s’y mettre. Sans fil conducteur, on perd rapidement l’intérêt du public, et on ne communique pas grand-chose.

Alors comment s’y prendre, que ce soit à l’écrit ou à l’oral, pour le créer, ce damné fil ?

Une des principales difficultés que mes étudiants rencontrent, c’est qu’on ne peut pas vraiment travailler directement sur le fil conducteur, contrairement à bien d’autres aspects d’un texte. On peut garder un œil sur ses fautes, par exemple, ou faire attention à rédiger un texte bien structuré, et agir directement là-dessus. Mais souvent, le fil conducteur est davantage la conséquence du fait qu’on a bien construit son texte que le résultat d’un effort conscient et direct.

Il faut donc commencer par la base la plus élémentaire : avoir une idée claire de ce qu’on veut dire AVANT de commencer à écrire. Et comme je sais, comme prof, qu’il est impossible de trop insister sur ce point, je vais le répéter immédiatement : savoir où on s’en va avec un texte AVANT de se mettre en chemin. Si on n’a pas une idée minimalement nette du message qu’on veut passer, on ne pourra pas structurer son propos de façon efficace. Et sans structure, point de fil conducteur.

Mais voilà, autre difficulté, le fil conducteur n’est pas seulement une structure. Je ne compte plus les étudiants qui me remettent des textes très structurés, où les idées sont bien séparées les unes des autres, mais qui n’ont pas de fil conducteur pour autant. J’appelle cela une «structure de liste d’épicerie». Mine de rien, c’est très structuré, une liste d’épicerie. Les items y sont présentés distinctement, l’unicité de chacun est même souvent soulignée par des tirets. Mais on n’y trouve aucun ordre logique particulier. On peut intervertir l’ordre du chou-fleur et du jus de pomme, enlever ou ajouter «steak haché» n’importe où dans la liste, cela ne change rien. De la même manière, il arrive que des textes soient très structurés, mais qu’on puisse mettre les paragraphes dans à peu près n’importe quel ordre sans que le texte ne devienne plus ou moins facile à comprendre.

Ce qu’il manque à ces textes, c’est un fil conducteur. Pas seulement mettre de l’ordre dans ses idées, mais les placer dans un ordre logique où une idée mène à la suivante, qui mène à une autre, et ainsi de suite jusqu’à la fin. Il n’y a pas d’ordre ou de structure unique qui permettent d’y parvenir : il faut choisir la structure qui sert le mieux le message qu’on veut passer — d’où l’idée de savoir où on va AVANT de commencer à écrire, vous l’avais-je dit?

Par exemple, si on veut relater l’histoire d’un débat scientifique, un ordre chronologique peut faire très bien l’affaire : telle et telle études ont conclu à X → mais telle et telle autres ont suivi et pointaient vers Y → la communauté scientifique peinait à trancher → jusqu’à ce que telle étude, avec une méthodologie différente, vienne clore le débat. Si on veut démontrer, autre exemple, qu’un médicament comme l’hydroxychloroquine ne fonctionne pas pour traiter la COVID, on peut opter pour une structure logique : quelques travaux ont suggéré une efficacité → mais ils étaient de très faible qualité → les études les mieux menées n’ont pas trouvé de bénéfice → donc l’hydroxychloroquine ne marche pas.

C’est ça, en bonne partie, qui garde un lecteur dans un texte : une progression logique. Certes, il y a d’autres choses aussi, notamment des trucs d’écriture (voir l’encadré ci-dessous) qui vont rendre le texte plus fluide, plus facile à suivre et plus agréable à lire. Mais sans cette progression logique, ils ne servent pas à grand-chose, puisque le public ne se rend pas jusqu’à la fin.

Voici quelques astuces supplémentaires pour «mettre en valeur» votre fil conducteur (s’il existe…), pour aider le lecteur à bien «voir» la progression logique dont je parle ici.

 

  • Les marqueurs de liaison : des alliés précieux

C’est souvent la dernière «petite chose» qui manque aux textes de mes étudiants. La structure est là, l’enchaînement logique y est, mais… mais les phrases sont écrites comme si elles étaient indépendantes les unes des autres. Les marqueurs de relation servent justement à ça : souligner les liens logiques, les rendre explicites. Ne sous-estimez pas l’importance des petits mots et locutions comme «de plus», «en revanche», «d’abord/ensuite», «c’est-à-dire», «en conséquence», etc. Ils vous aident à «prendre le lecteur par la main», en quelque sorte.

 

 

  • La longueur des phrases : évitez la mono-manie!

Les phrases très longues, surtout quand elles se présentent l’une à la suite de l’autre, peuvent rendre un texte difficile à lire, au point de cacher votre fil conducteur. C’est bien connu, et c’est la raison pour laquelle certains s’astreignent à n’écrire que des phrases courtes. Or c’est une erreur, ça aussi. Les textes ne contenant que des phrases courtes sont en général saccadés, ce qui peut embrouiller l’enchaînement des idées. L’idéal à atteindre, c’est de varier la longueur des phrases. C’est la meilleure manière de faire un texte fluide.

 

 

  • Faire plus d’un texte

Une erreur d’écriture «classique» est d’essayer de faire entrer trop de choses différentes dans un seul texte. On a au départ plusieurs idées dont on tient à parler, mais certaines peuvent être un peu hors-sujet, ne pas bien s’insérer dans la structure, etc. Au lieu de les faire entrer de force dans le texte principal, il vaut alors mieux faire un deuxième texte ou un encadré — exactement comme celui-ci, d’ailleurs. Je tenais à donner les trucs des marqueurs de relation et de la longueur des phrases, mais ils s’inséraient très mal dans la structure de mon texte principal. Alors j’ai fait l’encadré que vous êtes en train de lire.