Un tableau inquiétant

Haolun Tian Queen’s University

L’activité humaine augmente l’intensité et la fréquence des proliférations d’algues bleu-vert, qui représentent une menace pour la biodiversité aquatique et l’approvisionnement en eau potable de millions de personnes. Compte tenu de la nature transitoire de ces proliférations et de la rapidité avec laquelle elles apparaissent dans nos lacs en fin d’été, il est difficile d’en assurer la surveillance à pied levé, particulièrement dans les petits plans d’eau. Prise par un drone à 100 m du sol, cette photo montre des membres de mon équipe en train de prélever des échantillons d’eau au milieu d’une prolifération d’algues au lac Dog, un plan d’eau du fameux réseau du canal Rideau. Captées à vol d’oiseau, ces magnifiques torsades qui rappellent des coups de pinceau cachent une réalité inquiétante : une « soupe aux pois » nauséabonde et nocive qui finira par asphyxier les poissons et les autres organismes aquatiques lorsqu’elle se décomposera en automne. En combinant la surveillance par drones et l’analyse de l’ADN environnemental, nous pouvons rapidement évaluer l’ampleur, le mouvement et la composition d’une petite prolifération à une fraction du prix que représente le recours à l’imagerie satellitaire ou la réalisation d’une évaluation de la toxicité - Image issue du concours 2022 La preuve par l'image de l'Acfas / Science exposed.

Dessine-moi un lac

Dana travaille depuis plus de sept ans sur un projet de recherche en lien avec les cyanobactéries, plus familièrement appelées les algues bleu-vert. Ce projet comprend de la collecte de données sur le terrain. Un candidat parfait pour de la science participative, au contact de ses concitoyen-nes. En fin de projet Dana a souhaité redonner à la communauté le fruit de ces recherches dans un format original.

Oui, mais comment? Depuis maintenant quatre ans, la médiation culturelle est mon moyen de prédilection afin de stimuler la démocratisation de la recherche universitaire. Je n’ai pas eu de mal à convaincre Dana de présenter ses travaux de recherche dans le cadre d’un atelier d’art communautaire.

Pour cette action arts-sciences nous nous sommes associés avec un réseau artistique (réseau Les Ruches d’Art) et avons identifié des membres de ce réseau résidant non loin d’un des 86 lacs du projet de recherche de Dana. Il nous a été facile de recruter des collaborateur-trices, interpellé-es par la problématique environnementale et l’originalité de l’action. Que ce soit dans un local ou en camion mobile directement au bord du lac, la formule gagnante est simple. Elle repose avant tout sur une expérience humaine dans laquelle s’entremêlent vulgarisation et expression artistique libre. Notre public? Aucune restriction, les grands comme les petits étaient accueillis dans ce moment de partage d’une heure et demie avec au menu de l’inclusion, du respect, de l’apprentissage et évidemment beaucoup de plaisir. L’action Dessine-moi un lac était née.

Dans la première partie de l’atelier, la parole a été donnée à Dana qui, face à son auditoire profane mais au combien intéressé, avait choisi des images fortes pour illustrer l’impact social de ses recherches. Quoi de mieux que des photographies artistiques pour illustrer le processus de floraison parfois spectaculaire. Celui-ci se produit lorsque les cyanobactéries prolifèrent et forment des « fleurs d’eau », aussi appelées bloom en anglais. Pour aborder les effets neurotoxiques et hépatotoxiques, ce sont plutôt des illustrations de bandes dessinées qui ont été choisies. Les cyanobactéries se retrouvent naturellement dans les écosystèmes aquatiques; leur présence n’est donc pas exceptionnelle, c’est leur prolifération excessive qui l’est. Pour sensibiliser son auditoire plus jeune à cette conséquence de l’eutrophisation des lacs et des rivières, elle a choisi de prendre pour exemple l’attraction de la malbouffe. Le surplus d’azote et de phosphore provenant des engrais synthétiques utilisés par l’humain autour des lacs faisant office pour les algues de joyeux festin. Ce dernier exemple sur la pollution a aussi permis d’illustrer simplement une action concrète qui pouvait être faite pour éviter la propagation des algues bleues.

Durant l’atelier, une autre maître de cérémonie, France, était aussi présente, prête à prendre le relais. L’artiste facilitatrice avait pour mission de guider les participant-es dans un processus d’appropriation de la problématique à travers l’expression de soi. Toute une flopée de matériel artistique – crayons, feutres, tubes de peinture, matériel de recyclage etc. – avait été mis à disposition du public pour leur permettre de laisser libre cours à leur créativité. France avait décidé de créer une œuvre collective, et si ce choix a pu en intimider certain-es au début, cette réticence s’est envolée rapidement,chaque participant-e ayant été guidé-e selon son aisance. L’approche était directe avec la question : qu’est-ce qu’un lac en santé?

À partir de cette simple interrogation, les discussions s’animent et dans les esprits, sournoisement la créativité se fraye un chemin en créant des ponts entre le tangible et le non-tangible. Puis c’est l’effervescence lorsque les participant-es ont clairement identifié leur chemin d’expression.

Un cas intéressant, illustrant parfaitement cette opportunité d’apprentissage incarné est le cas de cette jeune personne qui a été interpellée par l’impact des cyanobactéries sur la faune et la flore des lacs. Ses poissons intoxiqués et malades avaient alors des points jaunes de toute forme sur tout le corps. Mais quand est venu le temps de leur ajouter deux têtes, il a pu se tourner vers Dana, qui toujours présente a pu avec bienveillance encadrer cette irrationalité au combien nécessaire. Cela lui a demandé d’adapter son discours, d’approfondir de nouveaux concepts tout en préservant cet élan créatif. Sans même crier garde une magnifique fresque murale en tissu venait de naître. On pouvait clairement ressentir et lire le sentiment de fierté et de plaisir sur le visage des participant-es.

Mais ce moment de partage ne se limitait pas uniquement à la soirée, car la fresque a été exposée dans le local lumineux de la bibliothèque avec un texte explicatif et la mention des participants. Mission réussie et expérience au combien enrichissante pour Dana, avec une combinaison subtile de médiation culturelle et médiation scientifique.

La bibliothèque municipale était devenue la porte d’accès à son laboratoire.